Dans le bain bouillonnant médiatique de la bien-pensance, l’européen aurait tendance à percevoir de plus en plus difficilement ce qui le définit et ce qui fait sa propre identité. Il en vient, pour une part, à se demander si celle-ci existe vraiment, s’il n’est pas finalement une case blanche, restant à colorier, avec ce qui provient de l’ailleurs. Défini présentement et historiquement par l’extérieur.
S’il est avant tout poussé dans cette sensation par une idéologie ambiante tant négationniste vis à vis de son identité que panégyrique vis à vis de celle des autres, un autre phénomène, plus sournois et permanent, vient aussi amplifier cette sensation : l’universalisation de la culture occidentale à l’échelle mondiale, dispersant son identité, l’étalant dans l’espace et le temps. La réussite du modèle de l’européen finissant en fait par l’en déposséder.
L’universalisation du modèle Européen
Son identité, ainsi répandue à travers l’espace et le temps au cours des derniers siècles, par une conjonction de procédés plus ou moins volontaires entre universalisme européen et impérialisme américain, fait lentement oublier à l’Homme européen que certaines de ses particularités proviennent directement de chez lui et de ses ancêtres, et ne sont pas issues de l’extérieur ou encore d’une sorte de génération spontanée planétaire. Naguère, ces attributs et ces aspects lui étaient propres, et le définissaient spécifiquement.
Pour différentes raisons et par différents biais historiques, certaines de ses particularités sont en effet passées à l’universel. Prenons quelques exemples illustratifs.
Pensons par exemple au costume masculin, descendant des costumes européens des siècles précédents, et à présent répandu à travers le globe. Quel que soit le président, le ministre, le cadre, l’employé de bureau, le rendez-vous important, l’enterrement, le mariage,… Le même costume est là presque en tous lieux. Et si, à la place, le modèle japonais avait gagné l’universel, par exemple ? Alors serait-il peut-être normal et standard de vaquer en kimono dans les bureaux et les ministères, plutôt que revêtu du classique trois-pièces et de ses dérivés. Il est aussi possible d’étendre le modèle aux vêtements en général, en l’occurrence à la mode dite « à l’occidental » qui remplace ce qui existe un peu partout, ici dans les rues de Tokyo, mais aussi là bas en Amérique du Sud, et jusque dans les ruelles des petites cités du Groenland. A travers le monde, face à la mode occidentale, le vêtement traditionnel ou historique ne tient plus que dans les représentations folkloriques, les cérémonies traditionnelles, sinon à la rigueur sous un dictat suffisamment fort, comme c’est le cas des préceptes de l’Islam (et encore).
Nous pourrions poursuivre par l’exemple de la musique symphonique, qui semble aujourd’hui autant universelle qu’intemporelle, irriguant les films, les événements, étant jouée partout à travers le monde, ou encore parler des langues, là où l’anglais, le français et l’espagnol, pour ne citer que les principales, irriguent maintenant la moitié de la planète. Qu’est-ce qui pourrait porter plus les aspects et les allants d’une culture et d’une identité que les langues qui en sont les fruits ? Et si les langues asiatiques avaient atteint l’universel avant les langues indo-européennes ? Quel aurait été l’aspect culturel du monde si les échanges planétaires se faisaient alors en Japonais et en Coréen, ou en Chinois, en Hindi ?
Nous ne pouvons oublier non plus les grandes lignes de la politique moderne, à commencer par la démocratie elle même, invention millénaire aujourd’hui portée pour modèle, et pourquoi pas évoquer dans une moindre mesure la morale et la philosophie. Tous ces systèmes qui semblent une évidence au monde occidentale et à une grande partie du reste du monde n’en sont pas moins que des systèmes parmi d’autres possibilités, quelle qu’en soit leur valeur intrinsèque. Ces systèmes peuvent même frôler l’hérésie du point de vue de certaines cultures.
Et comment ne pas évoquer le monde des sciences, infiniment modelé ces derniers siècles par les Hommes et par les peuples majoritairement issus de l’occident, influencés autant par leur culture que par leur contexte, jusqu’à ce qu’un système entièrement normalisé à l’échelle mondiale n’émerge ? Figurez-vous que même les japonais apprennent les mathématiques ou la physique dans le système occidental, à savoir avec ses chiffres et ses symboles, entre autres. Et si les signes et les systèmes qui avaient atteint l’universel avaient plutôt été une version modernisée des systèmes d’Amérique du Sud, ou encore pourquoi pas des symboles issus de la calligraphie chinoise ? Et si une autre histoire des sciences que celle ramenant perpétuellement au contexte historique européen ou occidental était enseignée ?
Que dire de l’influence globale dans l’art et l’architecture ? Du fameux style néo-classique au building moderne ? Dans la manière de faire du cinéma, des uniformes, des automobiles, du commerce, de l’industrie… ? De l’exportation même des notions de beauté féminine ?
Et que dire encore de l’exportation universelles de fêtes traditionnelles, aux racines pourtant indo-européenne et chrétiennes, telles Halloween ou même Noël ? Comment un pays aussi éloigné de notre culture que le Japon peut-il aujourd’hui se parer des couleurs et des décors de noël, jusqu’aux déguisements de mères Noël parcourant les rues, sans que cela ne paraisse surprenant outre mesure, si ce n’est par une normalisation du modèle occidental ?
Passons sur une liste d’exemples qui pourrait ne plus se finir. Ce que l’on peut aussi constater, hélas, c’est que cela porte atteinte à l’identité des autres peuples. Mais cela ne va pas encore, heureusement, jusqu’à leur retirer leurs traditions et leurs spécificités les plus profondes, permettant toujours plus ou moins de préserver et de mettre en avant l’originalité de leur identité (et donc son existence) aux yeux des européens. Mais toujours sans faire pour autant ressortir la notre qui reste, elle, distillée un peu partout comme si elle avait émergé soudain de tous lieux sur la Terre…
Partout où va l’européen, il semble retrouver ces mêmes codes que ceux ayant entouré sa naissance, comme s’ils étaient constitutifs de l’atmosphère elle même. Et dans cette soupe homogénéisante ne semble plus être en mesure de distinguer l’identitaire de l’universel.
Tout ceci donne des armes à la négation de l’identité
Consciemment (par de fallacieux arguments), ou inconsciemment (à la suite de manipulation ou faute de culture), ce petit phénomène contribue à son échelle à l’idée qu’un Européen doit se faire de son identité pour être accepté de la pensée dominante mondialiste : une identité superficielle, à laquelle accorder une importance modeste, et surtout étant le fruit d’apports extérieurs plutôt qu’intérieurs. Le fait qu’une grande partie de l’identité européenne visible (langue, habillement, musique, architecture, politique, pensée, art, science… entre autres) se retrouve ainsi éparpillée aux quatre coins de l’univers, autant pour de bonnes raisons que pour de mauvaises (là n’est pas la question), influence fatalement autant la sensation contemporaine d’absence d’identité propre, que la sensation que celle-ci pourrait avoir été empruntée au reste du monde.
Plus les nations du monde se revêtent d’Occident et plus la spécificité de celui-ci se fait abstraite.
Et pendant ce temps, à l’intérieur même des nations du monde entier, le multiculturalisme vient encore renforcer cet effet en homogénéisant toujours plus l’aspect identitaire : en effet, si, où que vous alliez, vous retrouvez toujours plus ou moins la même répartition sinon le même dosage de diversité, alors vous avez plus encore la sensation que chaque endroit se ressemble, que personne ne vient de nulle part et qu’il n’y a pas d’identité autochtone. Où que vous soyez.
A.C.M

Un marché de Noël à Tokyo